N'est-il pas humain de reprocher aux animaux les défauts dont plusieurs
membres de la tribu sont affublés?
En utilisant ce biais, la susceptibilité des uns et des autres est préservée. Ces légendes particulières montrent ce qu'il faut évité quand on ne veut pas récolter le mépris de son entourage. Charge aux fautifs de s'identifier et d'adopter une ligne conduite opposée à celle qui est décrite. Dans ces récits, destinés à provoquer la honte, l'animal accumule les plus mauvais exemples.
Il se charge des pires défauts et additionne l'irresponsabilité envers les siens, l'égoïsme, l'incompétence, voire l'indignité. Comprend qui veux !... Reste à chacun, le soin de rectifier sa ligne de conduite s'il n'a pas la conscience tranquille.
A cette époque, les coyotes ne vivaient pas en solitaires comme aujourd'hui. Ils habitaient avec femmes et enfants. L’un d'eux, jadis, demeurait sous une tente avec son épouse, son fils et sa fille. Le père de cette petite famille était si mal
organisé qu'il n'arrivait pas à pourvoir à la subsistance des siens.
On était alors à la Lune-où-la-Neige-Entre-dans-les-Tepee. Il faisait si froid que les aiguilles des sapins ne tenaient plus aux branches. Le givre recouvrait la lune, et le soleil était parti depuis longtemps vers un meilleur endroit.
La provision de bois était épuisée dans la tente du coyote. Sa femme, malade, avait dû s'aliter. Les enfants grelottaient
de fièvre. La femme dit à son mari :
- Sors et va chercher des branches. Sinon, nous allons tous mourir de froid.
Le coyote grogna mais néanmoins sortit du tepee. Dehors, il trouva du bois sec. Il songea : «Les femmes sont bien
sottes». Pourquoi la mienne n'a-t-elle pas rentré cesbranches?".
Il s'en empara et les jeta sur le feu. Mais il s'agissait de l'Arbre-Malodorant. Une si mauvaise odeur se dégagea de la fumée que la femme due se lever pour éteindre le feu. Puis elle prit la décision d'aller elle-même chercher du bois. Elle emmena avec elle ses deux petits et trouva un arbre abattu. Elle s'apprêtait à le débiter quand elle aperçue un
cerf pris dans la neige jusqu'au poitrail. La femme attrapa le cerf par la queue et cria à ses enfants :
- Allez vite chercher votre père et dites-lui que je tiens un cerf.
Les enfants se précipitèrent vers le tepee et dirent au coyote :
- Vite, notre mère a besoin de toi ! Elle a attrapé un cerf et il faut que tu le tues.
Dites à votre mère que j’arrire, le temps de prendre mes Armes.
Les enfants partirent en courant, le coyote se rendit tranquillement dans la forêt, coupa trois bâtons, revint dans sa
tenre et se confectionna un arc et deux flèches. Mais au moment de s'en aller, il s'aperçut que les courroies de ses
raquettes à neige étaient cassées. Il en coupa d'autres dans un morceau de peau et les remplaça. Ensuite, il pensa :
«Tout ce travail m'a donné faim.»
Alors, il dévora les baies séchées que sa femme gardait précieusemet dans une
boîte en écorce. Enfin, il partit.
La femme agrippait encore le cerf, le coyote lui cria :
- Prends patience, j'arrive !
Il visa le cerf et cria à nouveau à l'adresse de sa femme :
-Je suis prêt, lâche-le !
La femme libéra la queue de l'animal. Le cerf sauta hors de son trou, se mit à courir et tomba dans un grand creux neigeux au moment où le coyote laissait filer son trait. La flèche passa au-dessus de l'animal sans l'atteindre. Le coyote plaça alors sa deuxième flèche sur son arc et tira une seconde fois. Mais à cet instant précis le cerf saura du trou et le dard passa sous son ventre. N'ayant plus de flèche, le coyote ne put que regarder s'enfuir le cerf. La femme prit ses deux enfants sur son dos et dit :
- Mon époux est un incapable. J'ai faim et je retourne au tepee.
Mais son mari avait mangé toutes les baies, aussitôt elle s'écria :
- C’en est trop, je préfère m'en aller !
Elle prit sa fille avec elle et laissa le garçon à son époux. Resté seul avec son fils, le coyote lui dit :
- Ne pleure pas, ta mère reviendra lorsqu'elle aura faim.Elle ne peut pas errer seule dans cette contrée.
Mais la femme ne reparut pas. Après plusieurs jours, le père dit à son enfant :
- Nous allons suivre les traces du cerf que ta mère a laissé échapper.
En chemin, ils trouvèrent un barrage de castors. Le coyote entreprit de démolir la digue afin d'avoir accès à la maison
des Petits-Hommes-de-Ia-Forêt. Lorsque l'eau du lac baissa, l'un d'eux sorti. Le coyote le tua et pénétra sous la hutte
pour avoir les autres. Toutefois, ceux-ci rusèrent. Ils se mordirent les lèvres et firent le mort. Le coyote les porta sur
la berge et dit à son fils :
- Regarde, ces castors sont morts de frayeur en me voyant. Nous allons les faire cuire, mais avant, allons chercher du
bois. Ils y allèrent. Hélas, lorsqu'ils revinrent, les castors s'étaient enfuis. Il ne restait plus que celui qui était réellement mort. Le coyote l'embrocha et le posa au-dessus du feu. Lorsqu'il fut à point, il le découpa. Alors, le coyote prit
pour lui les meilleurs morceaux et rendit à son fils les parties les plus coriaces. Puis il s'arrangea pour manger plus
vite que l'enfant, et quand il eut fini de manger sa part, il aida le petit à terminer la sienne. Durant la nuit suivante, le fils du coyote mourut de froid et de faim. Son père le laissa sans sépulture sous une mince couche de neige et partit seul. Il arriva finalement dans un étrange village. Pas une âme n'était en vue et tout semblait désert. Cependant, parmi les restes de ce village, le
coyote trouva sa femme. Il lui demanda :
- À part toi, il n'y a personne ici. Que fais-tu en un pareil endroit ? Pourquoi n'es-tu pas revenue dans notre tepee ?
- Ici j'ai chaud et je n'ai plus faim. Où est notre fils ?
- Il est mort en route. Cet enfant n'était guère résistant.
Et toi, qu'as-tu fait de notre fille ?
- Elle a beaucoup grandi durant ton absence, maintenant elle est mariée. Son époux prend grand soin d'elle.
La femme donna à manger à son mari. Il remarqua :
- Quelle nourriture bizarre vous absorbez dans ce village.
- C'est celle que les chasseurs d'ici nous offrent chaque jour.
A la fin du repas, la femme demanda à son mari :- Dorénavant, as-tu l'intention de rester avec nous ?
- La chair est bonne et le tepee est confortable.
- Dans ce cas je dois te prévenir, les gens de ce village ne sont pas des coyotes.
- Qui sont-ils alors?
- Ce sont des hommes. Ils vont d'ailleurs bientôt rentrer.
A ces mots, un long frisson parcourut le coyote. Il sortit sans mot dire. Un vent froid secoua le cuir de la tente. Alors, terrorisé à la pensée de rencontrer un homme, le coyote détala à perdre haleine.
Tiré du livre : Mille ans de contes, histoires et légendes à raconter aux enfants avant d'aller dormir aux éditions Milan (isbn : 9782841134496)